La réglementation française en matière de construction est parfois perçue comme un frein à la très haute performance du bâtiment. En effet, certaines des normes imposées peuvent compliquer la mise en place d’un projet passif. Pourtant, les milliers de bâtiments passifs présents sur le territoire français ont bien dû se conformer aux RT en vigueur pour sortir de terre…
Quelles sont les normes qui peuvent entraver, ou compliquer, le travail sur un projet passif ? Comment allier réglementation et passif ? Existe-t-il des « astuces » pour se faciliter la tâche ?
Nous avons interrogé Camille Bouchon, gérant du bureau d’études Solares Bauen, spécialisé dans le passif depuis 15 années. Il revient sur les points réglementaires qui ont pu lui poser difficulté, et les solutions développées. Nous aborderons cette vaste problématique par l’axe du logement…
VENTILATION
Premier point d’achoppement : la circulation de l’air. En bâtiment passif, on sait que celle-ci est régulée par une ventilation double-flux qui récupère la chaleur de l’air sortant, et permet ainsi de générer de substantielles économies de chauffage.
La norme :
En logement, la réglementation française qui s’applique est régie par l’arrêté du 24 mars 1982 relatif à l’aération des logements. Celle-ci ne s’intéresse qu’à l’extraction d’air.
La problématique passive :
En passif, on va s’intéresser autant à l’extraction qu’à l’insufflation d’air. Le débit sera évalué selon trois modes de calcul (par personne / par pièce / par pourcentage du volume), et c’est l’estimation la plus haute qui sera retenue. Aussi, les débits calculés selon la méthode passive sont généralement supérieurs à ceux réglementaires.
Toutefois, un point d’attention concerne les débits de cuisine. En effet, la norme de 1982 impose un débit d’extraction de 75m3/h, contre 60m3/h en passif.
La solution de l’expert passif :
Le système de ventilation double-flux doit être conçu en conséquence, soit en jouant sur le débit complet de la centrale, soit en utilisation des bouches autoréglables à débit commandé pour les cuisines (celles-ci intègrent un registre régulant le débit d’air neuf par logement). Ces bouches sont associées à une centrale avec une régulation de débit par maintien de pression – ce qui peut être plus compliqué dans les logements collectifs.
RÉGULATION DE TEMPÉRATURE ET CHAUFFAGE
Deuxième pomme de discorde : la gestion du chauffage. Les bâtiments passifs se passant de système de chauffage traditionnel, comment y appliquer des lois conçues pour des bâtiments « avec chauffage » ?
La norme :
Sur cet aspect, c’est la RT2012 qui fait référence : elle exige une régulation de chaleur pièce par pièce. Cependant, une exception existe concernant la diffusion de chaleur par l’air. Moins connue, cette disposition demande dans ce cas une régulation de température pour 100 m² de surface utile.
La problématique passive :
En passif, la régulation pièce par pièce n’a pas de sens, au vu des températures homogènes au sein du bâtiment.
La solution de l’expert passif :
La construction passive va donc s’appuyer sur la deuxième disposition, relative au chauffage par l’air. Il faut noter que celle-ci est peu connue, car quasi inappliquée en construction RT. En effet, les besoins de chauffage étant conséquents dans les bâtiments RT, il n’est pas possible de les satisfaire via un chauffage par l’air qui soit hygiénique. Pourquoi ? Car l’air devrait être chauffé à une température élevée, brûlant les particules qui y sont présentes (pyrolyse de l’air). En passif, les besoins sont drastiquement réduits, et il est possible d’obtenir une température d’air convenable sans craindre la pyrolyse.
Concrètement, pour les bâtiments de moins de 100 m², le chauffage par l’air peut être obtenu en agissant directement sur la température d’air soufflé par la ventilation (CTA). Si la surface des locaux dépasse 100 m², il y a lieu de faire autrement. On peut par exemple utiliser des bouches terminales électriques (en veillant à respecter les consommations d’énergie primaires maximales) ou encore des batteries chaudes à eau, par local ou par tranche de 100 m². Le recours à quelques radiateurs avec robinet thermostatique de petite dimension peut être envisagé en alternative.
ÉTANCHÉITE À L’AIR ET ASCENSEUR
On sait que l’étanchéité à l’air est un des piliers de la performance passive. Comment l’allier au besoin d’aération des cages d’ascenseurs?
La norme :
La ventilation naturelle des gaines d’ascenseur était exigée par la norme européenne EN 81-10. Celle-ci, en application jusqu’en aout 2017, a été révisée pour donner naissance à la norme EN 81-20.
La problématique passive :
En passif, la ventilation se doit d’être contrôlée. En effet concrètement, il faut se représenter la ventilation naturelle comme un trou permanent dans l’étanchéité à l’air.
La solution de l’expert passif :
Des kits spécifiques associés à un registre motorisé sont apparus sur le marché. Ils permettent de respecter les obligations réglementaires, tout en limitant l’impact sur l’étanchéité à l’air – et par extension sur le bilan thermique. Le principe est double : d’une part, les trappes sont étanches à l’air, et d’autre part, elles ne s’ouvrent qu’en cas de nécessité.
Ces kits n’étaient pas reconnus par tous les fabricants. Récemment, un avis de la Fédération des Ascenseurs a levé la problématique : il valide l’absence de ventilation naturelle dans le cas d’ascenseur sans locaux de machine. Par ailleurs, la norme européenne révisée (EN 81-20) souligne elle aussi que la ventilation est à prévoir selon les spécificités du bâtiment.