En novembre dernier, nous nous intéressions au rôle des bureaux d’études dans une opération passive. Aujourd’hui, nous continuons cette série dédiée aux métiers du passif en se penchant sur la fonction spécifique de l’architecte.
Convaincre le client, garantir la performance (en conception comme sur le chantier), sans oublier de donner toute sa place à l’esthétisme, la polyvalence des architectes est poussée à son optimum en Bâtiment Passif ! Trois architectes émérites nous racontent comment ils vivent leurs projets passifs.
QUEL EST LE RÔLE D’UN ARCHITECTE?
Pour bâtir, l’architecte est celui vers qui on se tourne spontanément. En effet, son rôle est de concevoir un bâtiment, en s’occupant de toutes les facettes du projet : de l’implantation à son organisation, en passant par son volume et le choix des matériaux utilisés.
En accord avec ce rôle « multitâche », l’architecte régit également tous les niveaux du projet, de la conception à la réception du bâtiment, en passant par le montage financier et le suivi du chantier.
L’architecte est un référent du chantier, que ce soit pour son client, pour les ouvriers du chantier ou pour le promoteur le cas échéant. Autant de métiers avec lesquels il entretient des contacts étroits…
Une polyvalence accrue par le passif
Quand on ajoute l’objectif passif à cette polyvalence déjà bien sollicitée, l’architecte doit allier sa vision d’ensemble à la surveillance des petits détails pouvant mettre en péril l’objectif énergétique.
PRENDRE DE BONNES HABITUDES
L’un des nombreux avantages de construire passif, notamment pour les architectes, est que ce type de projet va tout de suite dans la précision et la performance énergétique. « Construire passif donne des habitudes bonnes à reprendre dans tous les projets : une exigence de rentrer dans le détail, qu’on construise passif ou BBC », explique Vincent Delsinne, de l’atelier d’architecture du même nom.
Le fait de travailler avec des entreprises novices a également été formateur pour Amélie Dufour, architecte à l’atelier du Vieux Bourg : « Les détails sont anticipés et discutés avant. Les documents sont demandés en amont, ainsi que la liste des fournitures. » Cela évite des déconvenues et des quiproquos une fois le chantier lancé.
Vincent Delsinne renchérit, sur la même longueur d’ondes : « Il faut tout prévoir avant. Ma règle est que rien ne commence tant qu’une question n’est pas résolue ».
Une rigueur qui va de pair avec les critères exigeants du Bâtiment Passif, mais qui permet un chantier serein, où les tâtonnements ne sont plus de mise.
Chef d’orchestre du chantier
Les chantiers passifs occasionnent un surcroît de paramètres à gérer pour les architectes : plus de réunions de chantiers, plus de points de vigilance et une capacité à intervenir sur une foule de domaines différents. Bien plus que sur un chantier traditionnel, ils deviennent de véritables « chefs d’orchestre », administrant des cours magistraux sur le passif, corrigeant des erreurs d’ouvriers mal préparés, tout en conservant une vision d’ensemble et en maintenant le cap sur un niveau de performance énergétique encore parfois mal comprise.
« Je me suis engagé auprès d’un client pour une performance énergétique, à vous de m’accompagner dans l’atteinte de l’objectif » : c’est le discours que tient Vincent Delsinne auprès des entreprises qui participent à son chantier. Si l’objectif n’est pas atteint, c’est le problème de toute l’équipe du projet.
Même son de cloche du côté de Julien Rivat, de l’atelier d’architecture Rivat : « Il ne faut pas négliger le rôle de l’architecte et si quelque chose échoue, il ne faut pas rejeter la faute sur l’unique corps de métier en action : un chantier passif demande beaucoup plus de savoir et de détails de la part de l’architecte ».
Amélie Dufour, de l’atelier du Vieux Bourg, martèle : « Je suis mon patron, je suis mon chantier ». Elle insiste sur le fait que les architectes sont également responsables de la pédagogie. « Il faut encore bien souvent gérer les sous-traitants qui font des coquilles ou qui n’ont pas la même éthique que l’architecte. J’entend par là un travail moins consciencieux, une négligence des enjeux du chantier et donc un travail bâclé ou impropre pour la performance thermique visée. » Elle se rappelle d’un chantier où des ouvriers menuisiers ou poseurs de brise-soleil ont assisté au test du blower door puis à la phase de recherche des fuites et la pose du scotch réparateur : « Il y a eu pour eux une prise de conscience en direct qu’un trou, si petit soit-il, peut faire des dégâts considérables au bâti ».
L’avocat de la performance énergétique
Qui est mieux placé que l’architecte pour permettre qu’un projet se concrétise selon un objectif de performance énergétique ? « Souvent, on me démarche pour construire en BBC. Quand je propose d’être plus ambitieux et de viser le passif, les gens pensent que ça n’est pas pour eux, que c’est trop cher », explique Vincent Delsinne.
C’est le même ressenti chez Amélie Dufour : « Les gens demandent surtout à avoir « un bâtiment performant ». Ils aimeraient avoir un bâtiment passif mais leur premier réflexe est de se dire : « J’en n’aurai pas les moyens ». Pourtant leur réalisation s’en approche à 2 kWh près ! Il faut également redoubler de délicatesse avec les réfractaires, qui veulent une maison efficace, pourquoi pas passive, mais qui s’hérissent à l’idée d’une ventilation double-flux… » explique Amélie Dufour
Julien Rivat a vécu ce retournement de situation avec les pouvoirs publics, dans le cadre d’une opération de 13 maisons qu’aucun promoteur ne voulait ériger au standard passif. En endossant la casquette de promoteur, le cabinet d’architecte a convaincu la ville de Saint-Etienne du bien-fondé de la construction passive.
Depuis, les 13 maisons se sont vendues comme des petits painset 4 autres sont à venir sur une parcelle attenante. Et les pouvoirs publics mettent régulièrement en valeur cette opération, devenue vitrine pour eux comme pour l’architecte.
garant de l’art architectural
Mais l’architecture, c’est aussi une esthétique, un art à part entière, voué à la conception du beau. Comment font les architectes pour concilier l’art architectural et les contraintes liées à la conception passive ?
Vincent Delsinne a une réponse simple et efficace à cette question : « Il suffit d’inventer ! » Pour lui, l’enjeu est de trouver des solutions face notamment aux règles de compacité. « Toutes les architectures peuvent s’adapter au passif si elles sont bien retravaillées. » Son secret est de proposer un ou deux éléments qui ressortent du tout, sans nuire au bâtiment final.
Julien Rivat renchérit : « Les premiers bâtiments passifs ont été conçus par des ingénieurs et non des architectes. Voilà pourquoi le bâtiment passif traîne une image stéréotypée de boîte… Aujourd’hui, la plus-value apportée par les architectes est d’apporter de plus en plus d’architecture dans des bâtiments contraignants à l’esquisse. Il s’agit d’une contrainte avec laquelle jouer, une contrainte nécessaire ».
Pour autant, l’art de l’architecture n’est pas incompatible avec la conception passive, comme le résume Julien Rivat, qui livre peut-être ici la recette d’un bâtiment passif réussi : « La valeur ajoutée est l’interconnexion des connaissances de l’architecte et du diplômé CEPH ».