Laurence Ryckwaert, architecte à Toulouse, fait la découverte du passif lors de l’université d’été du groupement des Architecteurs (un réseau national d’architectes contractants généraux), en 2012. Un circuit de visites de bâtiments passifs était organisé sur la zone transfrontalière entre la Savoie et la Suisse.
Tout de suite enthousiasmée par ce mode de construction, elle réfléchit activement à implanter ce type de projet dans sa région, à Toulouse.
Deux ans plus tard, ce projet s’est concrétisé sous la forme du petit résidentiel collectif nommé Vol de Nuit, en hommage à Antoine de Saint-Exupéry, car le bâtiment est implanté sur une avenue portant le nom de l’écrivain.
UN DÉMARRAGE SUR LES CHAPEAUX DE ROUE
Laurence Ryckwaert ne connaît le passif que d’expérience mais son enthousiasme sera le fer de lance de ce projet. Elle s’associe à Via Positive, bureau d’études rencontré à l’occasion du circuit de visites, et démarre le projet dès le second semestre 2012.
Première étape : trouver la parcelle sur laquelle débuter les études. Par chance, l’architecte localise rapidement le terrain idéal. Située à Toulouse, à proximité de la place de l’Ormeau et loin du centre historique congestionné, la parcelle bénéficie d’un ensoleillement optimal pour un projet passif et de toutes les commodités pour les futurs habitants. Charmés par le caractère passif de la démarche ainsi que par l’enthousiasme de Laurence Ryckwaert, les propriétaires du terrain la choisissent parmi les autres acheteurs potentiels.
Le pavillon des années 30 qui occupait la parcelle est détruit. Une fois place nette faite, les études et esquisses dessinent le projet jusqu’à sa version finale, en tenant compte des contraintes liées au PLU et aux nuisances sonores de la ville.
La conception s’oriente directement vers un bâtiment collectif : la charge foncière du terrain et le cadre urbain y poussent. D’un point de vue technique, le collectif est également bien plus passionnant.
La résidence se fonde sur un sous-sol semi-enterré avec une toiture/terrasse végétalisée qui permet à la résidence de profiter d’un grand espace vert ensoleillé au sud.
Le bâtiment faisant écran par rapport à l’avenue Saint-Exupéry, l’intérieur de la parcelle est calme. Limitée par le nombre de stationnements disponibles et par la hauteur maximum réglementaire, la résidence est un R+4 avec un commerce obligatoire en RDC.
Dès le départ, l’équipe a pour objectif de décrocher la certification passive. Cet enjeu devient également une source d’enrichissement pour le cabinet d’architecture, qui découvre la thermique sous un autre angle. Laurence Ryckwaert témoigne : « Concevoir un bâtiment passif m’amène à voir les bureaux d’études thermiques d’un autre œil. Je me vois leur parler autrement désormais. J’aborde les points sensibles d’une manière naturelle grâce à cette expérience, comme les ponts thermiques et les accompagne avec plus de rigueur. Beaucoup de bureaux d’études toulousains me sollicitent à présent pour cette compétence. ».
ZOOM SUR… LE MONTAGE DU DOSSIER
Dans ce projet, Laurence Ryckwaert est le pivot du projet, car elle a porté plusieurs casquettes : architecte, maître d’œuvre, maître d’ouvrage et occupant de la résidence.
Grâce à son rôle de promoteur, elle a décidé de prendre son temps pour l’étude de ce projet. De cette expérience, elle tire un constat difficile et ingrat : « Les gens sont de plus en plus sensibilisés au climat, à l’écologie… Mais peu comprennent les difficultés et les atouts des réglementations thermiques ! Il subsiste une grosse défiance de tous les acteurs du bâtiment et nous avons un grand rôle à jouer pour relever le défi« .
Pour trouver les acquéreurs des logements, elle rencontre de nombreuses agences immobilières et doit bien souvent expliquer le standard passif aux agents , car peu y sont déjà sensibilisés.
Quand l’interlocuteur est intéressé, c’est la question du prix du bien qui devient un argument prioritaire. Pour ce faire, Laurence Ryckwaert a décidé de vendre à un prix tablé sur le marché des biens du secteur en dépit de la grande valeur ajoutée par le passif. Elle joue la carte de la fabrication française ou européenne des matériaux et composants utilisés lors de la construction.
Beaucoup ont besoin de « le voir pour le croire ». C’est certainement l’argument-massue, tout comme cela l’a été en 2012 : les visites donnent lieu à des coups de cœur et les doutes face à la conception passive s’envolent.
UN CHANTIER-DÉCOUVERTE
Laurence Ryckwaert et son équipe ne sont pas les seuls à faire la découverte des particularités d’un chantier passif, il a également fallu que les entreprises prenant part au chantier suivent et appliquent la rigueur nécessaire.
Les règlementations propres à la construction collective (notamment au niveau de la sécurité incendie, de l’accès PMR et de l’acoustique) se sont cumulées avec le caractère rigoureux de la construction passive, ce qui a rajouté du défi à la mission que l’équipe s’était donnée.
La résidence a été bâtie sur une ossature en béton banché. Le béton coulé atteint 18 cm d’épaisseur. L’isolation extérieure est faite de plaques de polystyrène et de laine de roche : les murs exposés au nord sont isolés à la laine de roche, ceux au sud isolés par du polystyrène.
Ensuite, la dalle de rez-de-chaussée est ferraillée, on y place tous les réseaux de chauffage, d’eau chaude, froide et sanitaire pour les calorifuger et les noyer dans la dalle béton.
L’immeuble ayant une construction mitoyenne, l’isolant polystyrène est également posé contre la construction voisine et reprend jusqu’à la toiture de la résidence.
La charpente est faite de bois et est isolée par des panneaux écrans de 22 mm sous liteaux et par une laine minérale. L’isolation se parachève par la pose d’une membrane d’étanchéité à l’air Stop Vap.
Au-dessus, le toit se pare de tuiles noires au sud pour que les panneaux solaires se confondent dans la couverture, suivant la demande des services de l’urbanisme. Le versant nord reçoit des tuiles rouges classiques.
Pour garantir le confort des habitats, les baies vitrées au sud ont été agrémentées de brise-soleil fixes et à lames orientables.
Pour atteindre l’objectif passif, ce sont six isolants thermiques qui ont été utilisés dans ce bâtiment, avec des performances et des caractéristiques bien identifiées. L’isolation extérieure est privilégiée mais se retrouve également en intérieur pour isoler les volumes chauffés de ceux qui ne le sont pas. C’est le cas de la cage d’escalier/ascenseur qui forme un bloc isolé du reste.
Grâce au réseau Architecteurs, le chantier se dote de matériaux et de composants venant directement d’autres membres partenaires du réseau. Sans les intermédiaires, le coût de ces matériaux est plus intéressant et la note finale du projet baisse sensiblement.
C’est le cas pour les composants suivants : la Zehnder ComfoAir 200, qui est la ventilation double flux individuelle installée dans chacun des logements ; les radiateurs d’appoint viennent aussi de chez Zenhder, il s’agit d’un modèle rétro, le « Charleston ». L’électroménager A+++ de Bosch-Siemens en cuisine pour ses exceptionnelles performances ; les LED de chez Hella pour toutes les parties communes ; le parquet chêne de chez Panaget ; les éléments sanitaires et robinets thermostatiques Jacob Delafon ont contribué à la réussite de ce projet.
Les menuiseries sont en PVC/aluminium et viennent de la menuiserie Bouvet.
Le chauffage est collectif, assuré en priorité par les panneaux solaires. En cas de besoin, la pompe à chaleur prend le relais. Et si les deux dispositifs ne suffisent pas, le dernier recours vient de la résistance électrique.
En fin de chantier, il est temps de poser les balcons et terrasses des logements. Dans une logique « passive » et afin d’éviter les ponts thermiques, ils sont désolidarisés du bâti mais fixés à la façade grâce à des chevilles de fixation à rupture thermique. C’est le cas également pour les gardes corps qui sont fixés avec des pattes de fixation à rupture thermique.
UNE OPÉRATION EXPLOITÉE DANS LA JOIE ET LA BONNE HUMEUR
Ce qui avait séduit Laurence Ryckwaert en premier lieu lors de sa visite de bâtiments passifs était le grand confort intérieur. Celui-ci s’est confirmé lors de l’épisode de canicule du mois de juillet. Alors que les températures atteignaient 39°C à l’ombre (45°C au soleil), la température intérieure n’a pas dépassé les 27°C. Les visiteurs passés durant la canicule ont d’abord cru que les appartements étaient climatisés !
Cet écart de température a pu se maintenir à l’intérieur avec un peu de discipline : le free cooling de la VMC double flux, penser à fermer les fenêtres le jour et à utiliser les brise-soleils sur les baies et faire rentrer la fraîcheur la nuit. Ces quelques gestes ont permis à la fraîcheur de rester à l’intérieur.
Ce qui avait également séduit Laurence Ryckwaert en 2012, c’était le fait que les habitants semblaient heureux d’y vivre. C’est également le cas dans sa résidence, désormais. Les 7 logements sont habités et chacun connaît les particularités de son logement. Certains ont déjà mis la main à la pâte en nettoyant leur filtre de ventilation ! Le jardin commun est propice aux repas ou apéritifs de groupe, renforçant le côté convivial.
La convivialité du lieu vient aussi de la volonté des copropriétaires de former un syndicat coopératif bénévole : tout le monde est impliqué dans la vie de la résidence. Le peu de parties communes, l’entretien par les habitants du jardin et du potager font baisser d’autant les frais de propriétés.
Laurence Ryckwaert souligne que « pour l’habitat participatif, l’idéal est d’avoir entre 7 et 9 logements, c’est là qu’une dynamique peut se créer ».
Pari gagné pour l’architecte !